Écrit par Salem Chaker (122 hits)
05-12-2006
La vie est un éternel recommencement, certes. Mais en Afrique du Nord, le recommencement s’accompagne souvent du pire et de la régression. Depuis le début de ma carrière universitaire, il y a près de 35 ans, je vois revenir cycliquement dans le débat public - politique et universitaire - les mêmes déclarations péremptoires, les mêmes fausses interrogations, les mêmes controverses inconsistantes sur la question de la graphie usuelle de la langue berbère : graphie latine, graphie arabe, graphie tifinagh ? Pseudo débat, totalement prédéterminé par les options idéologiques, et en définitive par l’instance politique : cela a été le cas au Maroc avec l’adoption surprise des néo-tifinagh par l’Ircam en 2001 ; c’est le cas en Algérie avec le retour en force des tenants de la graphie arabe.
On rappellera, pour ceux qui ont la mémoire courte, qu’immédiatement après le Printemps berbère de 1980, le FLN et le président Chadli déclaraient déjà : "Oui à l’enseignement du berbère, à condition qu’il soit écrit en caractères arabes" !
Pour tous les berbérisants sérieux, du moins ceux qui se sont penchés sur cette question depuis longtemps et qui ne "découvrent" pas les problèmes d’aménagement du berbère depuis que les instances politiques algériennes et marocaines ont donné leur feu-vert, la réponse ne fait pas de doute. Pour ma part, je m’en suis expliqué depuis plus d’un quart de siècle : une diffusion large du berbère passe nécessairement par la graphie latine, parce que l’essentiel de la documentation scientifique disponible est dans cette graphie ; parce qu’un travail significatif d’aménagement de cette graphie a été mené, depuis au moins 50 ans ; parce que l’essentiel de la production destinée au grand public (revues associatives, production littéraire), en Afrique du Nord comme en Europe, utilise cet alphabet.
Tifinagh
Revenons précisément au "débat" que certains veulent relancer. On notera d’abord que dans tous les cas, on mobilise la science, les universitaires, curieusement toujours très fraîchement convertis aux problématiques de l’aménagement et du développement du berbère, pour justifier ou imposer un choix.
On mobilise les savoirs des linguistes quant à la relation purement conventionnelle entre une langue et sa représentation graphique ; ceux des historiens sur l’existence de traditions anciennes de graphies du berbère en caractères arabes ; du sociologue de l’éducation et de la culture pour rappeler que la grande majorité de la population a une pratique de l’alphabet arabe. Tout cela pour défendre une notation usuelle en caractères arabes.
En occultant bien sûr le fait que les notations arabes du berbère, bien attestées depuis le haut Moyen âge, sont restées l’apanage de milieux lettrés très restreints ; qu’elles n’ont jamais donné lieu à une véritable codification graphique du berbère ; que toutes les études récentes montrent qu’il s’agissait plus d’aide-mémoires, de béquilles pour une transmission restée fondamentalement orale et qu’il est impossible de décoder ces textes berbères, anciens ou actuels, écrits en arabe sans une oralisation tâtonnante.
En occultant aussi le fait que l’alphabet latin est lui aussi très largement répandu et connu en Afrique du Nord, où, malgré les politiques d’arabisation, l’écrit latin (français) reste prédominant pour tous les usages fonctionnels quotidiens.
En oubliant aussi que "conventionnel" ne veut pas dire "indifférent" et sans motivations sociales...
Car bien sûr, à un niveau d’abstraction transhistorique, nous savons bien que toute langue, sous réserve d’adaptations plus ou moins importantes, peut être représentée par n’importe quel système d’écriture. C’est ce qui explique que les écritures ont pu voyager, ont été empruntées et adaptées de peuple à peuple, de langue à langue : l’alphabet latin du français n’est pas celui de Rome, ni celui de l’allemand, ni celui des langues scandinaves ou du tchèque. De même que l’alphabet arabe du persan, du turc ottoman et des autres langues d’Asie centrale n’est pas celui de l’arabe classique. De même, sur moins d’un siècle, certaines langues d’Asie centrale ont été écrites en alphabet arabe, en latin et en cyrillique ! A ce niveau de généralité, il est évident que le berbère, comme toute langue, pourrait être écrit en syllabaire japonais ou en alphabet cyrillique.
Mais au-delà des généralités abstraites et des potentialités théoriques, une écriture usuelle, du fait même de cette caractéristique, se développe dans un contexte historique et un environnement socioculturel déterminés, et pas seulement dans les cabinets des linguistes et grammairiens.
Ignorance réelle ou ignorance feinte, que la graphie arabe soit défendue par des responsables politiques ou par des universitaires, on occulte dans tous les cas le fait que depuis plus de 50 ans, un travail de réflexion sur la notation usuelle à base latine, directement inspiré par la recherche universitaire sur le berbère, a été mené et a permis des avancées significatives. Initié et accompagné par des universitaires, par des praticiens du berbère, largement relayé par le mouvement associatif à partir des années 70, ce travail sur la graphie usuelle à base latine a connu des améliorations progressives et simplifications qui en font désormais une écriture fonctionnelle, raisonnée et adaptée à toutes les formes de berbère. Représentation phonologique, maîtrise et explicitation de la segmentation font de la graphie usuelle latine une véritable écriture "berbère", généralisable à l’ensemble du domaine.
Sur le plan de l’usage effectif, le passage à l’écrit à base latine peut être considéré comme acquis. Pour ce qui est du kabyle, cela est évident, mais cela est également vrai plus largement du berbère algérien (mozabite, chaoui, touareg) et même marocain (notamment rifain) : partout, il existe des publications, une presse, une littérature, des revues associatives qui utilisent la notation usuelle latine.
Tourner le dos au demi-siècle d’usage social actif de la graphie à base latine pour imposer l’alphabet arabe ne peut qu’avoir de graves incidences négatives et ralentir, voire bloquer le processus de diffusion de l’écrit. A la fois pour des raisons pratiques : seule la notation latine a fait l’objet d’un processus de codification et d’adaptation aux contraintes particulières et lourdes du berbère (diversité dialectale, segmentation morphématique, gestion des innombrables phénomènes d’assimilations etc.). Utiliser un autre alphabet reviendrait à jeter aux orties ce lent et complexe travail de maturation, déjà largement adopté par les producteurs sur le terrain, notamment les écrivains. Très concrètement, une graphie arabe pour le berbère ne peut qu’être une régression de 50 ans (au moins) dans le processus de codification et de diffusion de l’écrit. On en reviendrait forcément à des notations de type phonétique, fortement dialectalisées, à segmentation aléatoire et non explicite et ne permettant pas la lecture sans oralisation. Car, outre que le processus de codification n’a jamais été engagé à partir de l’alphabet arabe, on aurait - même en supposant de la bonne volonté et des intentions pures - d’énormes difficultés à s’abstraire des contraintes de la tradition arabisante pour construire à partir de cette écriture une représentation cohérente et efficace du berbère.
Mais aussi pour des raisons symboliques : qu’on le veuille ou non, l’émergence berbère, l’émergence de la langue berbère s’est faite au cours du XXe siècle contre l’idéologie arabo-islamique dominante et, pour l’essentiel, hors du cadre culturel arabo-islamique.
C’est l’ouverture sur le monde et sur l’Occident qui a donné aux Berbères et la langue berbère les outils de leur affirmation et de leur existence. Vouloir imposer au berbère l’habit de l’alphabet arabe trahit explicitement une volonté de le (les) faire rentrer dans le giron de la famille arabo-musulmane, pour l’y étouffer.
Car on ne peut éluder la question fondamentale suivante : pourquoi ce débat récurrent autour de la graphie usuelle de tamazight ? Pourquoi ce retour sur des questions que la société et la pratique ont de fait déjà réglées ? Pourquoi l’instance politique s’empare-t-elle régulièrement du sujet ? Il ne s’agit pas d’un épiphénomène mais bien d’une ligne stratégique, ancienne et commune aux pays de l’Afrique du Nord. Les positions historiques du FLN et des plus hautes instances de l’Etat algérien rappelées plus haut ne sont pas anodines.
Nous avons affaire à une machine de guerre contre le berbère, que l’on déploie lorsqu’il est devenu impossible de s’opposer, sur le principe, à sa reconnaissance, à son développement et à sa généralisation. On met alors en avant un problème "technique", celui de l’alphabet, pour détruire l’acquis et orienter d’emblée le passage à l’écrit et l’enseignement de la langue berbère vers un cul-de-sac assuré, vers l’enlisement et/ou la folklorisation.
C’est ce qui se passe et se confirmera au Maroc avec le choix des néo-tifinagh. C’est ce qui se passera en Algérie si l’alphabet arabe venait à être imposé. Au fond, il s’agit, dans tous les cas, même si les argumentaires sont évidemment très différents, de bloquer toute possibilité de développement réel de la langue berbère, de la neutraliser en lui imposant un carcan non fonctionnel qui la condamne à une simple fonction emblématique (pour les néo-tifinagh) ou au rejet et à la désaffection par les populations elles-mêmes (pour l’alphabet arabe) ; en un mot, il s’agit d’enfermer le berbère dans l’insignifiance.
On retrouve en fait là, une pratique très solidement ancrée des Etats nord-africains, la stratégie de neutralisation et de domestication des élites, de tous les acteurs et facteurs sociaux et culturels non contrôlés... En l’occurrence, il s’agit de "réduire le lion berbère à un doux agneau bêlant" et intégré à l’appareil d’Etat, à l’idéologie dominante.
Mais on peut rester néanmoins optimiste et l’on doit tenir le cap car, contrairement aux apparences et à ce qu’ont tendance à croire les apparatchiks, y compris linguistes, en matière de langue et de graphie, la société est généralement plus forte que les oukases du pouvoir et de ses instances. Même dans un pays aussi centralisé que la France, ce sont les acteurs et producteurs, les usagers (écrivains, journalistes, imprimeurs, éditeurs...) qui ont fait et font l’usage, et qui, partout, ont défini la norme graphique et orthographique et non les pouvoirs ou les administrations, pas même l’Académie française !
J’espère donc que les créateurs et praticiens du berbère d’Algérie, du Maroc et d’ailleurs, les associations culturelles continueront leur travail, avec constance et ténacité, dans la direction qu’ils ont déjà prise, depuis Belaïd At-Ali en passant par M. Mammeri, et qui a donné de solides résultats et des fruits prometteurs.
05-12-2006
La vie est un éternel recommencement, certes. Mais en Afrique du Nord, le recommencement s’accompagne souvent du pire et de la régression. Depuis le début de ma carrière universitaire, il y a près de 35 ans, je vois revenir cycliquement dans le débat public - politique et universitaire - les mêmes déclarations péremptoires, les mêmes fausses interrogations, les mêmes controverses inconsistantes sur la question de la graphie usuelle de la langue berbère : graphie latine, graphie arabe, graphie tifinagh ? Pseudo débat, totalement prédéterminé par les options idéologiques, et en définitive par l’instance politique : cela a été le cas au Maroc avec l’adoption surprise des néo-tifinagh par l’Ircam en 2001 ; c’est le cas en Algérie avec le retour en force des tenants de la graphie arabe.
On rappellera, pour ceux qui ont la mémoire courte, qu’immédiatement après le Printemps berbère de 1980, le FLN et le président Chadli déclaraient déjà : "Oui à l’enseignement du berbère, à condition qu’il soit écrit en caractères arabes" !
Pour tous les berbérisants sérieux, du moins ceux qui se sont penchés sur cette question depuis longtemps et qui ne "découvrent" pas les problèmes d’aménagement du berbère depuis que les instances politiques algériennes et marocaines ont donné leur feu-vert, la réponse ne fait pas de doute. Pour ma part, je m’en suis expliqué depuis plus d’un quart de siècle : une diffusion large du berbère passe nécessairement par la graphie latine, parce que l’essentiel de la documentation scientifique disponible est dans cette graphie ; parce qu’un travail significatif d’aménagement de cette graphie a été mené, depuis au moins 50 ans ; parce que l’essentiel de la production destinée au grand public (revues associatives, production littéraire), en Afrique du Nord comme en Europe, utilise cet alphabet.
Tifinagh
Revenons précisément au "débat" que certains veulent relancer. On notera d’abord que dans tous les cas, on mobilise la science, les universitaires, curieusement toujours très fraîchement convertis aux problématiques de l’aménagement et du développement du berbère, pour justifier ou imposer un choix.
On mobilise les savoirs des linguistes quant à la relation purement conventionnelle entre une langue et sa représentation graphique ; ceux des historiens sur l’existence de traditions anciennes de graphies du berbère en caractères arabes ; du sociologue de l’éducation et de la culture pour rappeler que la grande majorité de la population a une pratique de l’alphabet arabe. Tout cela pour défendre une notation usuelle en caractères arabes.
En occultant bien sûr le fait que les notations arabes du berbère, bien attestées depuis le haut Moyen âge, sont restées l’apanage de milieux lettrés très restreints ; qu’elles n’ont jamais donné lieu à une véritable codification graphique du berbère ; que toutes les études récentes montrent qu’il s’agissait plus d’aide-mémoires, de béquilles pour une transmission restée fondamentalement orale et qu’il est impossible de décoder ces textes berbères, anciens ou actuels, écrits en arabe sans une oralisation tâtonnante.
En occultant aussi le fait que l’alphabet latin est lui aussi très largement répandu et connu en Afrique du Nord, où, malgré les politiques d’arabisation, l’écrit latin (français) reste prédominant pour tous les usages fonctionnels quotidiens.
En oubliant aussi que "conventionnel" ne veut pas dire "indifférent" et sans motivations sociales...
Car bien sûr, à un niveau d’abstraction transhistorique, nous savons bien que toute langue, sous réserve d’adaptations plus ou moins importantes, peut être représentée par n’importe quel système d’écriture. C’est ce qui explique que les écritures ont pu voyager, ont été empruntées et adaptées de peuple à peuple, de langue à langue : l’alphabet latin du français n’est pas celui de Rome, ni celui de l’allemand, ni celui des langues scandinaves ou du tchèque. De même que l’alphabet arabe du persan, du turc ottoman et des autres langues d’Asie centrale n’est pas celui de l’arabe classique. De même, sur moins d’un siècle, certaines langues d’Asie centrale ont été écrites en alphabet arabe, en latin et en cyrillique ! A ce niveau de généralité, il est évident que le berbère, comme toute langue, pourrait être écrit en syllabaire japonais ou en alphabet cyrillique.
Mais au-delà des généralités abstraites et des potentialités théoriques, une écriture usuelle, du fait même de cette caractéristique, se développe dans un contexte historique et un environnement socioculturel déterminés, et pas seulement dans les cabinets des linguistes et grammairiens.
Ignorance réelle ou ignorance feinte, que la graphie arabe soit défendue par des responsables politiques ou par des universitaires, on occulte dans tous les cas le fait que depuis plus de 50 ans, un travail de réflexion sur la notation usuelle à base latine, directement inspiré par la recherche universitaire sur le berbère, a été mené et a permis des avancées significatives. Initié et accompagné par des universitaires, par des praticiens du berbère, largement relayé par le mouvement associatif à partir des années 70, ce travail sur la graphie usuelle à base latine a connu des améliorations progressives et simplifications qui en font désormais une écriture fonctionnelle, raisonnée et adaptée à toutes les formes de berbère. Représentation phonologique, maîtrise et explicitation de la segmentation font de la graphie usuelle latine une véritable écriture "berbère", généralisable à l’ensemble du domaine.
Sur le plan de l’usage effectif, le passage à l’écrit à base latine peut être considéré comme acquis. Pour ce qui est du kabyle, cela est évident, mais cela est également vrai plus largement du berbère algérien (mozabite, chaoui, touareg) et même marocain (notamment rifain) : partout, il existe des publications, une presse, une littérature, des revues associatives qui utilisent la notation usuelle latine.
Tourner le dos au demi-siècle d’usage social actif de la graphie à base latine pour imposer l’alphabet arabe ne peut qu’avoir de graves incidences négatives et ralentir, voire bloquer le processus de diffusion de l’écrit. A la fois pour des raisons pratiques : seule la notation latine a fait l’objet d’un processus de codification et d’adaptation aux contraintes particulières et lourdes du berbère (diversité dialectale, segmentation morphématique, gestion des innombrables phénomènes d’assimilations etc.). Utiliser un autre alphabet reviendrait à jeter aux orties ce lent et complexe travail de maturation, déjà largement adopté par les producteurs sur le terrain, notamment les écrivains. Très concrètement, une graphie arabe pour le berbère ne peut qu’être une régression de 50 ans (au moins) dans le processus de codification et de diffusion de l’écrit. On en reviendrait forcément à des notations de type phonétique, fortement dialectalisées, à segmentation aléatoire et non explicite et ne permettant pas la lecture sans oralisation. Car, outre que le processus de codification n’a jamais été engagé à partir de l’alphabet arabe, on aurait - même en supposant de la bonne volonté et des intentions pures - d’énormes difficultés à s’abstraire des contraintes de la tradition arabisante pour construire à partir de cette écriture une représentation cohérente et efficace du berbère.
Mais aussi pour des raisons symboliques : qu’on le veuille ou non, l’émergence berbère, l’émergence de la langue berbère s’est faite au cours du XXe siècle contre l’idéologie arabo-islamique dominante et, pour l’essentiel, hors du cadre culturel arabo-islamique.
C’est l’ouverture sur le monde et sur l’Occident qui a donné aux Berbères et la langue berbère les outils de leur affirmation et de leur existence. Vouloir imposer au berbère l’habit de l’alphabet arabe trahit explicitement une volonté de le (les) faire rentrer dans le giron de la famille arabo-musulmane, pour l’y étouffer.
Car on ne peut éluder la question fondamentale suivante : pourquoi ce débat récurrent autour de la graphie usuelle de tamazight ? Pourquoi ce retour sur des questions que la société et la pratique ont de fait déjà réglées ? Pourquoi l’instance politique s’empare-t-elle régulièrement du sujet ? Il ne s’agit pas d’un épiphénomène mais bien d’une ligne stratégique, ancienne et commune aux pays de l’Afrique du Nord. Les positions historiques du FLN et des plus hautes instances de l’Etat algérien rappelées plus haut ne sont pas anodines.
Nous avons affaire à une machine de guerre contre le berbère, que l’on déploie lorsqu’il est devenu impossible de s’opposer, sur le principe, à sa reconnaissance, à son développement et à sa généralisation. On met alors en avant un problème "technique", celui de l’alphabet, pour détruire l’acquis et orienter d’emblée le passage à l’écrit et l’enseignement de la langue berbère vers un cul-de-sac assuré, vers l’enlisement et/ou la folklorisation.
C’est ce qui se passe et se confirmera au Maroc avec le choix des néo-tifinagh. C’est ce qui se passera en Algérie si l’alphabet arabe venait à être imposé. Au fond, il s’agit, dans tous les cas, même si les argumentaires sont évidemment très différents, de bloquer toute possibilité de développement réel de la langue berbère, de la neutraliser en lui imposant un carcan non fonctionnel qui la condamne à une simple fonction emblématique (pour les néo-tifinagh) ou au rejet et à la désaffection par les populations elles-mêmes (pour l’alphabet arabe) ; en un mot, il s’agit d’enfermer le berbère dans l’insignifiance.
On retrouve en fait là, une pratique très solidement ancrée des Etats nord-africains, la stratégie de neutralisation et de domestication des élites, de tous les acteurs et facteurs sociaux et culturels non contrôlés... En l’occurrence, il s’agit de "réduire le lion berbère à un doux agneau bêlant" et intégré à l’appareil d’Etat, à l’idéologie dominante.
Mais on peut rester néanmoins optimiste et l’on doit tenir le cap car, contrairement aux apparences et à ce qu’ont tendance à croire les apparatchiks, y compris linguistes, en matière de langue et de graphie, la société est généralement plus forte que les oukases du pouvoir et de ses instances. Même dans un pays aussi centralisé que la France, ce sont les acteurs et producteurs, les usagers (écrivains, journalistes, imprimeurs, éditeurs...) qui ont fait et font l’usage, et qui, partout, ont défini la norme graphique et orthographique et non les pouvoirs ou les administrations, pas même l’Académie française !
J’espère donc que les créateurs et praticiens du berbère d’Algérie, du Maroc et d’ailleurs, les associations culturelles continueront leur travail, avec constance et ténacité, dans la direction qu’ils ont déjà prise, depuis Belaïd At-Ali en passant par M. Mammeri, et qui a donné de solides résultats et des fruits prometteurs.