The possibility of language: a discussion of the nature of language, with implications for human and machine translation
MELBY, A.-K. (1995) : The possibility of language: a discussion of the nature of language, with implications for human and machine translation, Amsterdam et Philadelphia, John Benjamins, 274 p.
<HR align=left width=400>L’heure de vérité a sonné, Melby en est conscient. Les résultats de plusieurs années de recherche sont convaincants. Pour le moment, la substitution définitive du traducteur par la machine est irréalisable et celle de la traduction humaine par la traduction automatique de haute qualité reste ponctuelle. La traduction automatique a donc des limites ; pourquoi en est-il ainsi et quelles en sont les causes ? Questions importantes que tente d’élucider Melby avec la collaboration de Warner dans son ouvrage The possibility of language, ou comme il le nomme aussi The Limits of Machine Translation.
Cet ouvrage vient enrichir le catalogue de John Benjamins qui a publié plusieurs recherches sur la traduction automatique (TA)[1]. Même s’il date de 1995, il n’en demeure pas moins une référence incontournable dans ce domaine pour les linguistes, les informaticiens et les traducteurs et tous ceux qui s’intéressent à la TA. L’ouvrage comporte cinq chapitres : le premier trace les limites de la TA, le deuxième en fait un survol historique, le troisième décrit la nature du mur existant entre la traduction humaine et la TA, et le quatrième et dernier tirent des conclusions sur l’ensemble de la question.
Limits in Search of a Cause : mission impossible de la traduction automatique
Le premier chapitre, qui sert d’introduction, répond à la question What are the limits of machine translation ? Dans les années 50, les avis des chercheurs étaient partagés. Les uns pensaient que les limites n’existaient que dans la mémoire de l’ordinateur et que bientôt la machine allait supplanter l’humain. D’autres soutenaient que les recherches menées sur la TA étaient vaines et ne méritaient pas d’être poursuivies. Mais à partir des années 80, de plus en plus de chercheurs adoptaient une position intermédiaire et plus pragmatique. Ils affirmaient que la TA avait, certes, des limites, mais demeurait malgré tout utile. En effet, les résultats de travaux de certains groupes de chercheurs, tels que MÉTÉO, Systran et Logos, montraient que l’application d’une TA de bonne qualité à un sous-langage[2] était possible, mais plus difficile, voire impossible, dans des domaines plus vastes.
Melby se penche donc sur les limites de la TA et souligne les différences importantes entre les textes relevant de la langue spécialisée et ceux de langue générale. Il remet en cause les fondements techniques de la TA et tente de répondre aux questions soulevées, notamment en ce qui touche le sens, son unité et son origine, et le lien entre deux langues.
Les principaux courants linguistiques de l’époque voient dans le sens une variable fixe et transcendante ne dépendant pas des locuteurs, des mots ni des langues. D’où la possibilité de « manœuvrer » entre les sens de deux langues données et de programmer les langues dans un ordinateur. D’après Melby,l’échec que connaît la TA est en grande partie lié à un problème de sens. En effet, dans une langue dynamique, un mot peut avoir plus d’un sens, donc plus d’une acception. Melby conclut dans le premier chapitre que le sens d’un mot n’existe pas indépendamment des locuteurs, ce qui l’amène à s’interroger sur la communication humaine dans une même langue.
Melby souligne l’irrationalité de l’activité de traduction à l’aide de quelques analogies. Bien que la traduction soit une activité ancienne, elle est encore méconnue et demeure fascinante et entourée de mystères. Elle semble impossible en théorie, mais elle continue néanmoins d’être pratiquée.
Melby précise qu’on ne peut pas enseigner la traduction sans aborder certaines difficultés qui lui sont inhérentes, à savoir, les faux-amis (chaque mot peut appartenir à la catégorie LU[3], TU[4] ou LTU[5]), les références culturelles, l’historicité, les voix active et passive.
Il mentionne que les théories de la traduction ont, par le passé, été en débat sur la manière de traduire.Fallait-il traduire littéralement afin de respecter la structure du texte de départ ou librement pour donner au texte d’arrivée plus de fluidité ? Le traducteur devrait-il être visible ou non ? Après l’approche littérale de Benjamin (1947), l’approche culturelle de Nida (1947), l’approche à trois phases (analyse, transfert et synthèse)[6] de Nida et de Taber (1969), Robinson (1991) clôt le débat. Ce dernier est d’avis que le sens n’est pas fixe et se construit en fonction de l’esprit et de l’affectif de chaque personne. Par conséquent, pour un texte donné, plusieurs traductions sont envisageables (la traduction littérale, libre ou entre les deux).
Machine translation : historique de la traduction automatique
Melby consacre le deuxième chapitre à l’histoire de la TA. Les premières recherches, qui remontent aux années 50, sont teintées de l’optimisme de l’après-guerre et encouragées par les inventions et les progrès technologiques réalisés, tels que la bombe atomique, le satellite Sputnik, le voyage de l’homme sur la lune, etc.
Le pionnier de l’automatisation de la traduction, Troyanskii, fournit une description détaillée du processus de la TA. Ce processus se déroule en trois étapes : 1- L’analyse du texte de départ pour identifier la forme de base de chaque mot et la fonction de celui-ci dans la phrase. 2- Le transfert des formes de base et de leur structure grammaticale d’une langue à une autre. 3- La synthèse (ou génération) des séquences constituées par les formes de base de manière fluide et acceptable par le système de la langue d’arrivée.
Weaver (1949) voit la TA d’une façon totalement différente. Partant de l’opinion que l’ordinateur présente des similitudes avec le cerveau humain et que le sens existe indépendamment des locuteurs, Weaver propose une TA, fondée sur la logique et les universaux, qui permet le décryptage du message et son encodage.
Melby relate que l’expérience de Bar-Hillel (1960), fort intéressante mais peu médiatisée à l’époque, a démontré que le choix du bon équivalent dépendait de la connaissance même du monde, ce dont l’ordinateur était entièrement dépourvu. Sa conclusion est définitive : la traduction entièrement automatique est irréalisable. Les recherches ont alors pris un nouveau tournant et se sont orientées vers la traduction assistée par ordinateur.
Par ailleurs, le rapport ALPAC[7] présenté par des chercheurs américains, en 1966, encourageait les recherches en informatique linguistique, toutefois insistait sur le fait que les résultats obtenus ne justifiaient pas les dépenses. Les recherches en, alors, été interrompues pour de bon.
The wall : mur imaginaire, mais infranchissable
Le troisième chapitre observe de près les étapes de la recherche sur la TA qu’ont parcourues Melby et son équipe.
Visant la réalisation d’une traduction interactive entre l’humain et la machine, cette recherche se base sur le modèle (à trois étapes) de Troyanskiidécrit au chapitre précédent. Selon ce modèle, l’intervention de la machine consiste à effectuer l’analyse du texte de départ, à repérer les ambiguïtés et à questionner l’humain (unilingue anglais), et ensuite à faire la synthèse des séquences en fonction des réponses obtenues. Les questions posées à l’humain peuvent être d’ordre syntaxique ou sémantique. Melby précise que dans le cas des questions relevant de la syntaxe, l’opérateur obtient, grâce à la junction grammar, des résultats concluants, contrairement aux questions sémantiques. Aussi, au fur et à mesure que les interactions homme-machine augmentaient, les concepteurs rajoutaient des entrées dans les dictionnaires unilingues anglais, ce qui amplifia la complexité du système. En 1978, lorsque le système a cessé de fonctionner, la crise a éclaté. Melby et [COLOR=blue! important][COLOR=blue! important]ses[/COLOR][/COLOR] collègues ont, dès ce moment, déduit qu’un mur infranchissable existe entre la TA et la langue générale.
Les résultats décevants ont poussé Melby à s’intéresser à la traduction humaine. Ce qui explique sans doute qu’il soit devenu traducteur de l’anglais au français et soit impliqué dans l’élaboration et le perfectionnement des outils d’aide à la traduction.
Possibilities and implications : l’espoir fait vivre
Dans les chapitres quatre et cinq, Melby cherche une explication théorique aux limites de la TA de la langue générale dynamique. Il est d’avis que les techniques employées dans sa recherche ne sont pas suffisamment élaborées pour traduire la langue générale. En explorant l’approche de la grammaire générative de Chomsky et l’approche inspirée par l’expérimentalisme de Lakoff, Melby se rend compte que ni l’une ni l’autre ne permettent la réalisation de la TA de la langue générale dynamique. Contrairement à Chomsky, pour qui la syntaxe est indépendante de certains paramètres tels que le sens, le contexte, les connaissances du monde et la mémoire, Lakoff soutient que la sémantique et le contexte sont plutôt des paramètres essentiels dans la construction du sens. La grammaire générative permet de traiter la phrase en tant qu’unité indépendante et s’avère utile pour la TA dans un domaine spécialisé. Par contre, l’approche plus large de Lakoff se base sur l’analyse de la phrase dans son contexte. D’après Melby, une approche intermédiaire est fortement souhaitée.
Afin que la TA produise une traduction de haute qualité comparable à celle de l’humain dans le domaine général dynamique, Melby croit que l’ordinateur doit éviter les présupposés de l’objectivisme, accepter l’ambiguïté fondamentale, traiter les métaphores, devenir plus flexible et devenir un actant dans le processus de traduction tout en reconnaissant les autres actants (pp. 149-150).
Conclusion
Avec ses mots, ses métaphores et ses analogies, Melby nous transporte vers un monde de savoir technique, difficile à atteindre pour les novices de la TA, car son public cible est formé de spécialistes passionnés d’automatisation.
Bien que les fondements de la TA reposent sur une théorie philosophique et abstraite selon laquelle le sens est transcendant et unique, plusieurs chercheurs ont voulu créer une machine.
Les résultats des recherches menées en TA sont déterminants, néanmoins Melby s’y accroche encore et encore. Selon lui, si la traduction dans un sous-langage est faisable, il suffit de trouver la bonne technique et de l’appliquer à la langue générale. Dans le but de franchir le mur séparant la TA de la langue générale, Melby explore d’autres approches (exemple, Chomsky et Lakoff) et raisonne par tâtonnements.
Les questions essentielles que nous nous posons sont : un jour, l’ordinateur pourra-t-il devenir un actant dans le processus de traduction et interagir avec les autres actants ? Pourra-t-il être muni de certaines fonctions basées sur les connaissances du monde, les sentiments, les émotions, l’intelligence et être conçu selon le modèle humain ? Weaver et les adeptes de l’intelligence artificielle du moins y ont cru et y croient encore. Pour eux, l’ordinateur est doté de caractéristiques similaires à celles du cerveau humain et la connaissance humaine sera bientôt traduite en algorithmes intégrés dans l’ordinateur. Comment alors traiterons-nous les expressions figées ou les métaphores dynamiques ? Voyons à titre d’exemple, l’expression figée suivante : مرضي الوالدين
Une expression en apparence très simple que tout arabophone peut comprendre facilement. Elle signifie « être respectueux envers ses parents » et ainsi « être dans les bonnes grâces de ses parents ». Au Maroc, elle prend une dimension à la fois spirituelle, religieuse et culturelle ; elle fait référence aussi à l’image d’un enfant (petit ou grand) béni par Dieu (l’islam voit un lien indissociable entre le respect que l’on porte à ses parents et celui que l’on a pour Dieu). Nous sommes en présence d’une métaphore statique en théorie, mais qui devient dynamique d’une culture à une autre. Le maniement du langage se fait d’une façon naturelle chez les êtres humains, en revanche, la machine ne connaît que le langage binaire, entièrement basé sur les chiffres.
Melby s’exprime souvent à l’aide de métaphores (mur, terre, planète, bourdon, etc.), parfois drôles, mais qui ont surtout pour objet d’inviter à la réflexion. Celles-ci permettent au lecteur de comprendre plus facilement les notions abordées.
À la lecture de cet ouvrage, nous pouvons conclure que la traduction automatisée ne peut survivre sans l’intervention de l’humain car ce dernier est, pour le moment, essentiel. Les chercheurs ne devraient-ils pas plutôt consacrer davantage d’efforts à améliorer le poste de travail du traducteur ? Nous pensons que plus les outils d’aide à la traduction, tels le traitement de texte, les dictionnaires, les concordanciers et les bitextes, seront perfectionnés, plus le traducteur sera en mesure d’exceller dans son travail.
Bibliographie :
L’HOMME, M.-C. (1999) : Initiation à la traductique, Brossard, Linguatech.
SAGER, J.C. (1990) : A Practical Course in Terminology Processing, Amsterdam et Philadelphie, John Benjamins.
SAGER, J.C. (1994) : Language Engineering and Translation. Consequences of Automation, Amsterdam et Philadelphie, John Benjamins.
SOMERS, H. (dir.) (2003) : Computers and Translation: A Translator’s Guide, Amsterdam et Philadelphie, John Benjamins.
<HR align=left width="33%" SIZE=1>[1] Computers and Translation: A translator’s Guide (Somers, 1992), Language Engineering and Translation, (Sager, 1994) et A Practical Course in Terminology Processing (Sager, 1990).
[2] L’Homme (1999) définit le sous-langage comme étant des « langages associés à des micro-domaines de spécialité » (p. 16)
[3] Unité lexicale, mot appartenant à la langue générale.
[4] Unité terminologique, mot qui appartient à la langue de spécialité.
[5] Mot polysémique. Melby donne l’exemple de bus, qui en langue générale signifie un moyen de transport et en langue informatique correspond au « conducteur commun à plusieurs circuits permettant de distribuer des informations ou des courants d'alimentation » (Robert électronique).
[6] Approche généralement utilisée dans la conception de la TA.
[7] Automatic Language Processing Advisory Committee
MELBY, A.-K. (1995) : The possibility of language: a discussion of the nature of language, with implications for human and machine translation, Amsterdam et Philadelphia, John Benjamins, 274 p.
<HR align=left width=400>L’heure de vérité a sonné, Melby en est conscient. Les résultats de plusieurs années de recherche sont convaincants. Pour le moment, la substitution définitive du traducteur par la machine est irréalisable et celle de la traduction humaine par la traduction automatique de haute qualité reste ponctuelle. La traduction automatique a donc des limites ; pourquoi en est-il ainsi et quelles en sont les causes ? Questions importantes que tente d’élucider Melby avec la collaboration de Warner dans son ouvrage The possibility of language, ou comme il le nomme aussi The Limits of Machine Translation.
Cet ouvrage vient enrichir le catalogue de John Benjamins qui a publié plusieurs recherches sur la traduction automatique (TA)[1]. Même s’il date de 1995, il n’en demeure pas moins une référence incontournable dans ce domaine pour les linguistes, les informaticiens et les traducteurs et tous ceux qui s’intéressent à la TA. L’ouvrage comporte cinq chapitres : le premier trace les limites de la TA, le deuxième en fait un survol historique, le troisième décrit la nature du mur existant entre la traduction humaine et la TA, et le quatrième et dernier tirent des conclusions sur l’ensemble de la question.
Limits in Search of a Cause : mission impossible de la traduction automatique
Le premier chapitre, qui sert d’introduction, répond à la question What are the limits of machine translation ? Dans les années 50, les avis des chercheurs étaient partagés. Les uns pensaient que les limites n’existaient que dans la mémoire de l’ordinateur et que bientôt la machine allait supplanter l’humain. D’autres soutenaient que les recherches menées sur la TA étaient vaines et ne méritaient pas d’être poursuivies. Mais à partir des années 80, de plus en plus de chercheurs adoptaient une position intermédiaire et plus pragmatique. Ils affirmaient que la TA avait, certes, des limites, mais demeurait malgré tout utile. En effet, les résultats de travaux de certains groupes de chercheurs, tels que MÉTÉO, Systran et Logos, montraient que l’application d’une TA de bonne qualité à un sous-langage[2] était possible, mais plus difficile, voire impossible, dans des domaines plus vastes.
Melby se penche donc sur les limites de la TA et souligne les différences importantes entre les textes relevant de la langue spécialisée et ceux de langue générale. Il remet en cause les fondements techniques de la TA et tente de répondre aux questions soulevées, notamment en ce qui touche le sens, son unité et son origine, et le lien entre deux langues.
Les principaux courants linguistiques de l’époque voient dans le sens une variable fixe et transcendante ne dépendant pas des locuteurs, des mots ni des langues. D’où la possibilité de « manœuvrer » entre les sens de deux langues données et de programmer les langues dans un ordinateur. D’après Melby,l’échec que connaît la TA est en grande partie lié à un problème de sens. En effet, dans une langue dynamique, un mot peut avoir plus d’un sens, donc plus d’une acception. Melby conclut dans le premier chapitre que le sens d’un mot n’existe pas indépendamment des locuteurs, ce qui l’amène à s’interroger sur la communication humaine dans une même langue.
Melby souligne l’irrationalité de l’activité de traduction à l’aide de quelques analogies. Bien que la traduction soit une activité ancienne, elle est encore méconnue et demeure fascinante et entourée de mystères. Elle semble impossible en théorie, mais elle continue néanmoins d’être pratiquée.
Melby précise qu’on ne peut pas enseigner la traduction sans aborder certaines difficultés qui lui sont inhérentes, à savoir, les faux-amis (chaque mot peut appartenir à la catégorie LU[3], TU[4] ou LTU[5]), les références culturelles, l’historicité, les voix active et passive.
Il mentionne que les théories de la traduction ont, par le passé, été en débat sur la manière de traduire.Fallait-il traduire littéralement afin de respecter la structure du texte de départ ou librement pour donner au texte d’arrivée plus de fluidité ? Le traducteur devrait-il être visible ou non ? Après l’approche littérale de Benjamin (1947), l’approche culturelle de Nida (1947), l’approche à trois phases (analyse, transfert et synthèse)[6] de Nida et de Taber (1969), Robinson (1991) clôt le débat. Ce dernier est d’avis que le sens n’est pas fixe et se construit en fonction de l’esprit et de l’affectif de chaque personne. Par conséquent, pour un texte donné, plusieurs traductions sont envisageables (la traduction littérale, libre ou entre les deux).
Machine translation : historique de la traduction automatique
Melby consacre le deuxième chapitre à l’histoire de la TA. Les premières recherches, qui remontent aux années 50, sont teintées de l’optimisme de l’après-guerre et encouragées par les inventions et les progrès technologiques réalisés, tels que la bombe atomique, le satellite Sputnik, le voyage de l’homme sur la lune, etc.
Le pionnier de l’automatisation de la traduction, Troyanskii, fournit une description détaillée du processus de la TA. Ce processus se déroule en trois étapes : 1- L’analyse du texte de départ pour identifier la forme de base de chaque mot et la fonction de celui-ci dans la phrase. 2- Le transfert des formes de base et de leur structure grammaticale d’une langue à une autre. 3- La synthèse (ou génération) des séquences constituées par les formes de base de manière fluide et acceptable par le système de la langue d’arrivée.
Weaver (1949) voit la TA d’une façon totalement différente. Partant de l’opinion que l’ordinateur présente des similitudes avec le cerveau humain et que le sens existe indépendamment des locuteurs, Weaver propose une TA, fondée sur la logique et les universaux, qui permet le décryptage du message et son encodage.
Melby relate que l’expérience de Bar-Hillel (1960), fort intéressante mais peu médiatisée à l’époque, a démontré que le choix du bon équivalent dépendait de la connaissance même du monde, ce dont l’ordinateur était entièrement dépourvu. Sa conclusion est définitive : la traduction entièrement automatique est irréalisable. Les recherches ont alors pris un nouveau tournant et se sont orientées vers la traduction assistée par ordinateur.
Par ailleurs, le rapport ALPAC[7] présenté par des chercheurs américains, en 1966, encourageait les recherches en informatique linguistique, toutefois insistait sur le fait que les résultats obtenus ne justifiaient pas les dépenses. Les recherches en, alors, été interrompues pour de bon.
The wall : mur imaginaire, mais infranchissable
Le troisième chapitre observe de près les étapes de la recherche sur la TA qu’ont parcourues Melby et son équipe.
Visant la réalisation d’une traduction interactive entre l’humain et la machine, cette recherche se base sur le modèle (à trois étapes) de Troyanskiidécrit au chapitre précédent. Selon ce modèle, l’intervention de la machine consiste à effectuer l’analyse du texte de départ, à repérer les ambiguïtés et à questionner l’humain (unilingue anglais), et ensuite à faire la synthèse des séquences en fonction des réponses obtenues. Les questions posées à l’humain peuvent être d’ordre syntaxique ou sémantique. Melby précise que dans le cas des questions relevant de la syntaxe, l’opérateur obtient, grâce à la junction grammar, des résultats concluants, contrairement aux questions sémantiques. Aussi, au fur et à mesure que les interactions homme-machine augmentaient, les concepteurs rajoutaient des entrées dans les dictionnaires unilingues anglais, ce qui amplifia la complexité du système. En 1978, lorsque le système a cessé de fonctionner, la crise a éclaté. Melby et [COLOR=blue! important][COLOR=blue! important]ses[/COLOR][/COLOR] collègues ont, dès ce moment, déduit qu’un mur infranchissable existe entre la TA et la langue générale.
Les résultats décevants ont poussé Melby à s’intéresser à la traduction humaine. Ce qui explique sans doute qu’il soit devenu traducteur de l’anglais au français et soit impliqué dans l’élaboration et le perfectionnement des outils d’aide à la traduction.
Possibilities and implications : l’espoir fait vivre
Dans les chapitres quatre et cinq, Melby cherche une explication théorique aux limites de la TA de la langue générale dynamique. Il est d’avis que les techniques employées dans sa recherche ne sont pas suffisamment élaborées pour traduire la langue générale. En explorant l’approche de la grammaire générative de Chomsky et l’approche inspirée par l’expérimentalisme de Lakoff, Melby se rend compte que ni l’une ni l’autre ne permettent la réalisation de la TA de la langue générale dynamique. Contrairement à Chomsky, pour qui la syntaxe est indépendante de certains paramètres tels que le sens, le contexte, les connaissances du monde et la mémoire, Lakoff soutient que la sémantique et le contexte sont plutôt des paramètres essentiels dans la construction du sens. La grammaire générative permet de traiter la phrase en tant qu’unité indépendante et s’avère utile pour la TA dans un domaine spécialisé. Par contre, l’approche plus large de Lakoff se base sur l’analyse de la phrase dans son contexte. D’après Melby, une approche intermédiaire est fortement souhaitée.
Afin que la TA produise une traduction de haute qualité comparable à celle de l’humain dans le domaine général dynamique, Melby croit que l’ordinateur doit éviter les présupposés de l’objectivisme, accepter l’ambiguïté fondamentale, traiter les métaphores, devenir plus flexible et devenir un actant dans le processus de traduction tout en reconnaissant les autres actants (pp. 149-150).
Conclusion
Avec ses mots, ses métaphores et ses analogies, Melby nous transporte vers un monde de savoir technique, difficile à atteindre pour les novices de la TA, car son public cible est formé de spécialistes passionnés d’automatisation.
Bien que les fondements de la TA reposent sur une théorie philosophique et abstraite selon laquelle le sens est transcendant et unique, plusieurs chercheurs ont voulu créer une machine.
Les résultats des recherches menées en TA sont déterminants, néanmoins Melby s’y accroche encore et encore. Selon lui, si la traduction dans un sous-langage est faisable, il suffit de trouver la bonne technique et de l’appliquer à la langue générale. Dans le but de franchir le mur séparant la TA de la langue générale, Melby explore d’autres approches (exemple, Chomsky et Lakoff) et raisonne par tâtonnements.
Les questions essentielles que nous nous posons sont : un jour, l’ordinateur pourra-t-il devenir un actant dans le processus de traduction et interagir avec les autres actants ? Pourra-t-il être muni de certaines fonctions basées sur les connaissances du monde, les sentiments, les émotions, l’intelligence et être conçu selon le modèle humain ? Weaver et les adeptes de l’intelligence artificielle du moins y ont cru et y croient encore. Pour eux, l’ordinateur est doté de caractéristiques similaires à celles du cerveau humain et la connaissance humaine sera bientôt traduite en algorithmes intégrés dans l’ordinateur. Comment alors traiterons-nous les expressions figées ou les métaphores dynamiques ? Voyons à titre d’exemple, l’expression figée suivante : مرضي الوالدين
Une expression en apparence très simple que tout arabophone peut comprendre facilement. Elle signifie « être respectueux envers ses parents » et ainsi « être dans les bonnes grâces de ses parents ». Au Maroc, elle prend une dimension à la fois spirituelle, religieuse et culturelle ; elle fait référence aussi à l’image d’un enfant (petit ou grand) béni par Dieu (l’islam voit un lien indissociable entre le respect que l’on porte à ses parents et celui que l’on a pour Dieu). Nous sommes en présence d’une métaphore statique en théorie, mais qui devient dynamique d’une culture à une autre. Le maniement du langage se fait d’une façon naturelle chez les êtres humains, en revanche, la machine ne connaît que le langage binaire, entièrement basé sur les chiffres.
Melby s’exprime souvent à l’aide de métaphores (mur, terre, planète, bourdon, etc.), parfois drôles, mais qui ont surtout pour objet d’inviter à la réflexion. Celles-ci permettent au lecteur de comprendre plus facilement les notions abordées.
À la lecture de cet ouvrage, nous pouvons conclure que la traduction automatisée ne peut survivre sans l’intervention de l’humain car ce dernier est, pour le moment, essentiel. Les chercheurs ne devraient-ils pas plutôt consacrer davantage d’efforts à améliorer le poste de travail du traducteur ? Nous pensons que plus les outils d’aide à la traduction, tels le traitement de texte, les dictionnaires, les concordanciers et les bitextes, seront perfectionnés, plus le traducteur sera en mesure d’exceller dans son travail.
Bibliographie :
L’HOMME, M.-C. (1999) : Initiation à la traductique, Brossard, Linguatech.
SAGER, J.C. (1990) : A Practical Course in Terminology Processing, Amsterdam et Philadelphie, John Benjamins.
SAGER, J.C. (1994) : Language Engineering and Translation. Consequences of Automation, Amsterdam et Philadelphie, John Benjamins.
SOMERS, H. (dir.) (2003) : Computers and Translation: A Translator’s Guide, Amsterdam et Philadelphie, John Benjamins.
<HR align=left width="33%" SIZE=1>[1] Computers and Translation: A translator’s Guide (Somers, 1992), Language Engineering and Translation, (Sager, 1994) et A Practical Course in Terminology Processing (Sager, 1990).
[2] L’Homme (1999) définit le sous-langage comme étant des « langages associés à des micro-domaines de spécialité » (p. 16)
[3] Unité lexicale, mot appartenant à la langue générale.
[4] Unité terminologique, mot qui appartient à la langue de spécialité.
[5] Mot polysémique. Melby donne l’exemple de bus, qui en langue générale signifie un moyen de transport et en langue informatique correspond au « conducteur commun à plusieurs circuits permettant de distribuer des informations ou des courants d'alimentation » (Robert électronique).
[6] Approche généralement utilisée dans la conception de la TA.
[7] Automatic Language Processing Advisory Committee